Itinéraire d’une polémique

Aloïs et Charles
11 min readMay 6, 2021

--

En avril 2021, la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy a fait l’objet d’une polémique à l’issue d’un conseil municipal. Suite à la mise en ligne sur Youtube d’un extrait des débats portant sur les subventions accordées aux associations sportives, la polémique est née sur Twitter. Nous avons tenté de retracer son chemin, sa portée et son impact.

Nous sommes deux élus à Poitiers, passionnés par les outils numériques, actifs et en veille constante sur les évolutions de la communication et nous avons des occupations professionnelles en lien avec ces sujets. Nous avons vu naître la polémique concernée par cet article dès le vendredi après-midi, nous l’avons suivie et nous avons voulu en comprendre les mécanismes. Si nous ne sommes ni développeurs, ni experts de ces questions, nous sommes curieux et avons des bases suffisantes pour aller chercher les solutions et les scripts nécessaires à l’exploration des données que nous évoquons dans la suite de l’article.

Sans avoir une vocation académique, le volume de données analysées nous semble valider l’intérêt de cet exercice exploratoire de caractérisation de la dynamique Twitter autour de cette polémique.

La requête de recherche de tweets s’est réalisée avec les mots clefs suivant :

moncondhuy OR “maire de Poitiers” OR moncond’huy OR “autoritaires et moribondes” OR “rêves d’enfants” OR “Personne ne commande les rêves des enfants” OR “Les rêves restent toujours libres. Signé Icare” OR “Mon thread explicatif, pour un débat de fond.” OR “Rêver, c’est la liberté.” OR “Empêcher nos enfants de rêver.

Ces mots clés ont été choisis pour cibler les tweets qui faisaient explicitement écho au sujet (“moncondhuy”, “maire de Poitiers”, “rêves d’enfants”) mais aussi ceux qui permettaient d’intégrer des tweets qui avaient largement alimenté la polémique (“autoritaires et moribondes”, “Personne ne commande les rêves des enfants”, “Les rêves restent toujours libres. Signé Icare par exemple).

Nous avons utilisé l’API Twitter et plusieurs scripts en python en utilisant la requête ci-dessus qui nous a permis de récupérer 67.558 tweets du 29 mars (date du conseil municipal) au 18 avril. 26.465 personnes ont tweeté, avec une moyenne de 2.55 tweets par utilisateur, la majorité des personnes ayant envoyé un ou deux tweets, le maximum étant de 266 tweets.

Il est également à noter que près de 40.000 tweets sur les 67.000 récoltés sont des retweets. Cela montre, comme on pourra le voir ensuite sur les principaux influenceurs de la polémique, que la majorité des échanges se concentrent autour d’un petit nombre de personnes.

Qui a tweeté ?

Entre le 29 mars et le 18 avril, 26.465 personnes ont tweeté pour un total de 67.558 tweets. Entre celles et ceux qui n’ont fait que retweeté, et ceux qui ont écrit 266 tweets, qui sont celles et ceux qui ont fait la polémique ? À partir des données disponibles sur Twitter, nous avons tenté de dresser un premier panorama.

  • Répartition Femmes / Hommes :

Twitter ne permet pas de connaître le genre de ses utilisateurs. Cependant, une analyse — partielle — via Talkwalker, utilisant l’intelligence artificielle, nous donne les résultats suivant :

Cette recherche a été effectuée le 7 avril sur la base de 17000 tweets et n’est donc pas exhaustive.
  • Répartition géographique :

Sur les 67.558 tweets, 38.575 ont un utilisateur qui a une localisation renseignée. Parmi ceux-ci, 921 indiquent Poitiers ou Poitou-Charentes soit 2,4%.

Il est à noter que sur ces 921 tweets recensés, nous remarquons que rapidement une partie d’entre-eux n’évoquent pas la polémique mais font plutôt écho à l’actualité et aux sujets locaux : Gamers Assembly, conseil communautaire et augmentation de la taxe foncière, classe dehors, tiers lieux de la caserne, etc. Au total, ce sont 24 sujets que nous avons pu identifier.

Quand décolle la polémique ?

L’étendue de la plage temporelle utilisée nous permet de nous rendre compte du caractère “flash” de la polémique. Sans préjuger de ses conséquences et de son ancrage dans les mémoires, il apparaît clairement que la phrase prononcée par Léonore Moncond’huy n’a pas d’écho avant le vendredi midi et semble “s’éteindre” à partir du 9 avril, avec un “coeur de la tempête” entre le 2 et le 5 avril.

Nombre de tweets par jour sur la période d’étude

Le graphique ci-dessus illustre ainsi que plus de 53.000 tweets sur les 67.000 de la période ont été envoyés entre le 2 et le 5 avril, soit 79% de l’ensemble. La seule journée du 3 avril recueille un tiers des tweets et celle du 4 en produit 27% (soit 60% du total pour ces deux journées, 40.000 tweets).

29/03/2021–02/04/2021 : les cinq jours entre le conseil municipal et le début de la polémique

En faisant un focus sur les cinq jours qui ont suivi le conseil municipal et avant le début de la polémique, on se rend compte de la faible intensité de l’activité sur Twitter. Quelques tweets, une grosse dizaine au maximum par jour.

Le week-end de la polémique

À l’inverse, un focus sur le week-end au cœur de la polémique montre l’intensité de l’activité sur Twitter. En effet, au pic nous atteignons près de 1800 tweets en deux heures. Nous verrons dans la suite quels ont été les tweets qui ont alimenté la polémique.

Quels comptes ont donné de l’ampleur à la polémique ?

Si nous regardons de plus près les comptes ayant le plus participé à la polémique, nous remarquons trois types d’acteurs :

  • Les particuliers, souvent passionnés par le monde aérien mais pas exclusivement. C’est le cas de Aerocitoyen, VolsdeMax ou Immobon par exemple.
  • Les hommes et femmes politiques, souvent issus du Gouvernement, de la droite et de l’extrême droite. Le plus influent d’entre-eux fut sans aucun doute Jean-Baptiste Djebbari mais nous pouvons citer Bruno Le Maire, Sacha Houlié, Marine Le Pen ou Valérie Pécresse.
  • Les médias, journalistes et chroniqueurs qui ont à la fois alimenté la polémique mais lui ont aussi permis de sortir de Twitter pour apparaître sur tous les supports. Nous citerons là Le Figaro, Europe 1 ou Laurent Alexandre.

Notons tout de même que le compte le plus retweeté est celui de Léonore Moncond’huy, dont le thread explicatif a été largement partagé.

Les 20 comptes les plus retweetés

La représentation des utilisateurs du réseau social s’étant le plus exprimé sur la polémique fait disparaître les figures nationales pour laisser la place aux particuliers, parfois très loquaces puisque dans les 20 comptes les plus actifs nous retrouvons au minimum 61 tweets et au maximum 266.

*Compte créé exclusivement pour la polémique

Dans cette analyse des influenceurs de la polémique, il nous paraît important de mettre en avant que 20 personnes ont rédigé 328 tweets soit 0,5% du nombre de tweets et génèrent 31% des interactions totales.

Si plus de la moitié des tweets recensés sur la période sont des retweets ou des citations, c’est notamment parce qu’une minorité de comptes génèrent la majorité des interactions. D’ailleurs, le tableau ci-dessous montre la moyenne d’interaction pour chacun des types possibles. On peut voir qu’un tweet est cité 0,15 fois en moyenne, retweeté 0,72 fois en moyenne, liké 2,62 fois en moyenne et qu’en cumulé, un tweet recueille 3,94 interactions.

Nombre d’interactions différentes en moyenne par tweet

Par comparaison, nous pouvons faire le même tableau avec le top 20 par catégorie, en y ajoutant le minimum et le maximum d’interactions par tweet :

Nombre d’interactions différentes pour les tweets du top 20

Au delà des chiffres, il peut être intéressant de regarder de plus près qui est à l’intérieur de ce top 20 par type d’interaction et en cumulé :

Le top 20 des utilisateurs par nombre d’interactions

Si nous regardons qui sont celles et ceux qui sont particulièrement interpellés par l’ensemble de ces tweets, on retrouve évidemment largement Léonore Moncond’huy avec 23.932 mentions, puis EELV. La majorité des utilisateurs présents dans ce top 20 le sont essentiellement grâce aux retweets et aux citations (Jean-Baptiste Djebbari, Paul_Denton, Aerocitoyen, etc.). Notons tout de même la présence de deux personnalités locales dans ce top avec Magali Barc et Sacha Houlié.

Les 20 comptes les plus mentionnés

Quelles sont les communautés ayant alimenté la polémique ?

L’analyse des tweets à travers les retweets permet de constituer des groupes qui mettent en avant les sensibilités et les liens entre les utilisateurs. La fonction modularité de Gephi le permet. Elle se base sur l’algorithme de Louvain et permet de créer des communautés qui ont de fort liens entre elles, et peu de lien avec les autres.

Extraction du graph réalisé sur le logiciel Gephi

Nous retrouvons ainsi 11 groupes que nous nous attacherons à décrire ci-dessous. Les données exportées via l’API Twitter ont été utilisées pour un certain nombre d’éléments présentés dans ce dossier mais ont également généré un graph dans le logiciel Gephi. Chaque nœud de ce graph représente un utilisateur Twitter et les liens représentent les retweets générés par ces utilisateurs. Les communautés (couleurs sur le graph) sont obtenues à travers l’outil de modularité qui permet de mettre ensemble les nœuds qui ont le plus d’interaction.

Afin de vous permettre de parcourir ce graphe, de rechercher des utilisateurs, de comprendre les interactions, il a été exporté en javascript grâce à la librairie Sigma.

Il est consultable en suivant ce lien. (sur ordinateur de préférence)

Groupe 1 // 547 membres (2%) :

  • Abbé Grosjean (@abbegrosjean) : “Prêtre du Diocèse de Versailles, Curé de la Paroisse de Montigny-Voisins le Bretonneux. Commission Ethique & Politique du Diocèse”
  • Jean-Christophe Buisson (@jchribuisson) : “Directeur-adjoint @FigaroMagazine_, présente #HistoriquementShow @histoiretv. Écris sur #Serbie, #Armenie, #Artsakh, #Russie, 1917, communisme, droite, Napoléon”
  • Des particuliers : @Ripisylve, @JL7508

Groupe 2 // 4418 membres (17%) :

  • Des médias : Le Figaro (@Le_Figaro), Valeurs Actuelles (@Valeurs)
  • Des personnalités politiques : Marine Le Pen (@MLP_officiel), Nadine Morano (@nadine__morano), Robert Ménard (@RobertMenardFR), Jean-Michel CADENAS (@RassNational53 — “Délégué Départemental de la Fédération du Rassemblement National de la Mayenne et Membre du Conseil National)
  • Guillaume Bigot (@Guillaume_Bigot) : “membre de Front Populaire, politologue et éditorialiste (CNEWS, Sud Radio). DG d’une grande école française.”
  • Des particuliers : Alain Torres (@AlainTo41546267), Bon Jean (@ImmoBon)

Groupe 3 // 2951 membres (11%) :

  • Des personnalités politiques : Léonore Moncond’huy (@L_Moncondhuy), David Cormand (@DavidCormand), Sergio Coronado (@SergioCoronado), Julien Bayou (@julienbayou), Benjamin Lucas (@Benjam1Lucas)
  • Des particuliers : Laydgeur (@laydgeur), Raphaël Surcouf (@raphaelsurcouf)

Groupe 4 // 859 membres (3%) :

  • Les Vols de Max (@volsdemax) : “Airline Pilot — Captain Citation Mustang Airplane departure Photographer Camera”
  • Alex dessinateur (@Alexdessinateur) : “Courrier picard, Nord Eclair, l’Union-l’Ardennais, Libération Champagne, France 2, La revue de presse de Paris Première, Weo. Militant du rire.”
  • Balance Ton Média (@BalanceTonMedia) : “Parce que la liberté de la presse est en net recul en France, je poste tout ce qui me dérange (ou pas). Si vous voyez quelque chose, contactez moi en DM”

Groupe 5 // 2868 membres (10%) :

  • Des médias : Europe 1 (@Europe1), RTL France (@RTLFrance)
  • Des personnalités politiques : Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire)
  • Des personnalités médiatiques : JP Foucault (@Foucault_JP)
  • Emmanuelle Ducros (@emma_ducros) : Fièrement @lopinion_fr ; agriculture/ transports/tech/ ; Tweets engagés n’engageant que moi. ; @24hPujadas le mardi.
  • Des particuliers : Pierre Lescure (@pierrelescure), Emma Ducros :

Groupe 6 // 1952 membres (7%) :

  • Aérocitoyen (@aerocitoyen) : “Défenseur citoyen de l’aéronautique avec des faits, des arguments et de l’optimisme! #AvionsEnLair, #GreenPilot, #avgeek”
  • Jean-Baptiste Djebbari (@Djebbari_JB) : “Ministre délégué aux transports | Pilote Airplane et entrepreneur | Fan de rugby @XVparlementaire Rugby footbal

Groupe 7 // 8500 membres (32%) :

  • Des particuliers : Oscar (@loptismiste)
  • Des médias : Le parisien (@le_Parisien), Brèves de presse (@Brevesdepresse), Olivier Berrezai (@Berrezai)
  • Des personnalités politiques : Valérie Pécresse (@vpecresse),
  • Des personnalités médiatiques : Majid Oukacha (@MajidOukacha), Zohra Bitan (@ZohraBitan)

Ce groupe comprend une multitude de communautés entre presque 0% et 2%.

Groupe 8 // 1839 membres (7%) :

  • Jean-Luc Mélenchon (@JLMélenchon)
  • Des particuliers : Bassounov (@Bassounov)
  • Nils Wilcke (@Paul_Denton) : “Journaliste. Info parlementaire, politique, social et éco. Carte de presse 128 794. Syndiqué @SNJ_national, membre @ajlgbt. Mes tweets n’engagent que moi.”

Groupe 9 // 711 membres (3%) :

  • Docteur Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre)
  • Stéphane Le Foll (@SLeFoll)

Groupe 10 // 1211 membres (5%) :

  • Des personnalités politiques : Pascal Pointud (@PASCALPOINTUD), Bernard Carayon (@BernardCarayon)
  • Des particuliers : Cris Finland (@CrisFinland), Chantal morel (@dc_Morel)

Groupe 11 // 612 membres (2%) :

  • Maud Brégeon (@MaudBregeon) : “Porte-parole @enmarchefr, conseillère municipale à Levallois, ingénieure nucléaire”
  • Sacha Houlié (@SachaHoulie) : Député de la Vienne • Cofondateur des @JeunesMacron • Supporter de l’@OM_officiel

Conclusion

Les éléments présentés dans cette analyse factuelle nous permettent d’avancer quelques conclusions. Le conseil municipal du 29 mars, point de départ de la polémique, n’a pas fait l’objet d’un buzz en soi. Il aura fallu attendre le 2 avril à 12h30 pour qu’un premier tweet apparaisse, puis que le sujet fasse le tour des médias nationaux en très peu de temps.

L’analyse montre que cette polémique a été initiée et montée en épingle par trois communautés principales : les passionnés des aéro-clubs, les proches de LREM (membres du gouvernement, députés ou militants), des membres de l’extrême droite et/ou de la droite.

Le premier média national à relayer la polémique est Valeurs Actuelles le 2 avril à 22h, ont suivi le 3 avril matin Le Figaro, BFM TV, CNews et enfin la quasi totalité de la presse nationale a relayé le sujet, en se basant uniquement sur des tweets.

La presse quotidienne régionale (NR / CP / FR3) est la première, le 3 avril après-midi, à contextualiser la polémique.

L’analyse des utilisateurs ayant tweeté montre que 0,8% (20 personnes) de ceux-ci ont généré un tiers des interactions et 1,9% (50 personnes) ont généré 49% des interactions. Sans parler de stratégie de bashing, ces chiffres montrent l’impact des “influenceurs”, des gros comptes qui, à travers la mise en avant de cette polémique, ont défini l’agenda médiatique le temps d’un weekend.

A la lecture de cette analyse, et en projetant celle-ci sur l’échiquier politique, il est avéré que celles et ceux qui se sont exprimés, se situent à la droite et à l’extrême droite de cet échiquier. Sur la gauche, malgré le tweet de Jean-Luc Mélenchon qui figure dans le top 20, ou celui de la sénatrice socialiste Valérie Rabault, très peu ont pris part à la polémique. Seule la communauté de Léonore Moncond’huy, bien distincte des autres s’est exprimée, majoritairement en soutien de la maire de Poitiers.

Comme nous le disions en introduction, ce travail n’est pas académique. Nous envisageons de poursuivre les recherches à travers une analyse sémantique mais également en le présentant à deux chercheurs spécialistes de l’analyse des interactions sur les réseaux sociaux.

--

--

Aloïs et Charles
Aloïs et Charles

Written by Aloïs et Charles

Nous sommes deux élus à Poitiers, passionnés par les outils numériques, actifs et en veille constante sur les évolutions de la communication